STRATÉGIE DE LA PEUR
de Gilles CLEMENTJe me permets de vous mettre ce texte de Gilles CLEMENT écrit en ces temps de confinement.
Gilles CLEMENT est un artiste-jardinier, un vrai, un amoureux de la terre, des végétaux. J'ai eu le plaisir de visiter quelques uns de ses jardins qu'il a pensé pour de grands moments de plaisirs végétaux et de pensée. Vous le connaissez : Parc Citroën à Paris, Abbaye de Valloires en Baie de Somme, l'Arche de la Défense, les jardins du musée du Quai Branly entre autres. Cela vous dit quelque chose ?
Je me permets de vous livrer ici sa lettre ouverte durant le confinement que vous pourriez retrouver sur son site : http://www.gillesclement.com/cat-communique-tit-Communiques
Lisons et réfléchissons, choisissons à demain...
Nous ne sommes pas en guerre. Le covid nous rassemble, il ne nous divise pas. Il ne fait aucune
distinction entre riches, pauvres, blancs, noirs, chômeurs ou traverseurs de rues. Mais il se présente
comme un imprévisible danger à tous, un commun à partager.
L'imprévisible danger,- quelle que soit sa nature -, place le pouvoir en devoir de contrôle absolu et
légitime sous le prétexte d'une lutte contre le danger en question. D'où le vocabulaire guerrier utilisé
pour développer sans complexe une stratégie de la peur dont l'utilité politique est la soumission. Il
est facile de diriger un peuple soumis, impossible de procéder de la même façon avec un peuple
libre.
Il faut donc asservir le peuple au masque, aux gestes barrière, aux distances réglementaires et à la
consommation orientée : tous les magasins sont fermés sauf les grandes surfaces. Les
multinationales du pouvoir ont tous les droits, y compris ceux de la transmission du virus par
inadvertance, elles agissent au nom de la « guerre » contre l'ennemi, tout peut arriver.
L'ennemi pour ces instances n'est pas un invisible virus, une pandémie, mais un possible accès à un
autre modèle de vie. Le pire serait d'aboutir à une économie de la non-dépense. Pour elles ce serait
un horrible cauchemar. Elles tentent de l'éviter à tous prix. On s'arrange pour sortir les milliards de
la poche, ils reviendront. L'important n'est pas de sauver des vies mais de sauver le modèle
économique ultra -libéral, destructeur de la vie sur la planète, tout le monde le sait, mais bon pour
les banques. Par conséquent il convient d'assurer une stratégie d'accroissement de la peur afin
d'obtenir de la plus grande majorité des habitants de la planète une soumission au mode de vie établi
par le principe sacralisé de la croissance. Les médias officiels regorgent d'arguments sur ce thème,
les économistes invités renforcent le discours : il n'est pas question de changer de mode de vie mais
de le reprendre en douceur avec une totale fermeté, dès la fin des confinements. Le patron du Medef
va jusqu'à forcer la reprise au travail qui tue avant même que s'achève la crise. Les informateurs
nous préparent à cette option et seulement à celle -là : oui vous pourrez consommer, consommer,
consommer, ne vous inquiétez pas, faites ce qu'on vous dit de faire.
Peuple obéissant nous nous masquons. Derrière ce chiffon de fortune nous affrontons sans
discussion les réalités de terrain, l'abandon des services publics, le naufrage des hôpitaux, la
souffrance des soignants, désormais sanctifiés alors qu'on les gazait trois mois auparavant, nous
remplissons les attestations de déplacement dérogatoire en toute humilité pour acheter du pain ou de
la farine pour fabriquer le pain chez soi car il faut se confiner..., nous faisons ce qu'on nous dit de
faire.
Sans doute faut-il passer par cette case pour supporter le « pic » et entrevoir le futur en se libérant
de la pandémie. Le confinement rassure ou exaspère, c'est selon, mais il joue un rôle très singulier
dans la vie des humains consommateurs que nous sommes en nous obligeant à concevoir une
autonomie biologique de base : comment faire la cuisine, par exemple.... Nous redécouvrons les
gestes de la gestion domestique ancestrale et quasi paysanne. Ceux qui ont un jardin ont de la
chance. Pour eux le confinement vacanciel devient une occasion inespérée de transformer l'espace
ornemental en urgence vivrière ; l'un n'empêche pas l'autre : un potager est aussi un paysage. Quelle
que soit la situation nous nous trouvons tous, - nous, passagers de la Terre-, en devoir d'inventer un
nouveau mode vie : celui de la non dépendance à un service vital qui prend le risque de tomber en
panne à la moindre palpitation d'un virus.
Pour cette raison la multiplicité culturale et culturelle, la diversité variétale des espèces adaptées
aux différents sols et aux différents climats du monde, la capacité pour chaque micro-région de se
rendre autonome d'un point de vue de la production et de la distribution alimentaire, la diversité des
structures artisanales capables d'en faire … Toutes ces perspectives se présentent à nous comme des
possibilités tangibles d'affronter le futur. Cela suppose l'abandon d'un vision mondialisée des
échanges où la « compétitivité » (un mot qui se bégaie à l'infini) demeure le véritable outil de
guerre, car la guerre est bien là et non uniquement dans un affrontement au vivant mal connu sous
une forme de virus. De cette compétitivité absurde et dangereuse naît le marché international
effréné faisant circuler le soja ou l'huile de palme d'un bout à l'autre de la planète, pour des raisons
douteuses et non indispensables mais qui rapportent. A-t-on jamais calculé le coût écologique d'une
fraise venue d'Espagne, d'une rose venue de Colombie, d'un outil, d'un laser ou d'un bout de tissu
venu de Chine ….et de tous les produits qu'il est possible de produire in situ mais que l'on fait venir
de loin ?
Ce constat de la dépendance absurde et dangereuse risque bien sûr d'être récupéré par les
nationalistes décérébrés dont la tendance est de s'enfermer sur un modèle local-réac activé par un
racisme sous jacent. On ne peut extraire de leur névrose les malades qui ont une vision de l' autre
comme ennemi. Ceux-là n'ont pas compris que nous sommes dans l'espace étroit du Jardin
planétaire, cette petite biosphère, nageant tous ensemble dans le même bain, celui qui nous permet
de vivre. Oui, l'eau que nous buvons a déjà été bue par des plantes, des animaux et des humains
avant nous. Plusieurs fois. Telle est notre condition de partage. Il en est des virus comme de l'eau ou
de l'air que nous respirons.
Il faut reprendre donc la machine à calculer. Si l'on affecte les coûts de la réparation écologique
obligatoire pour espérer pouvoir vivre demain il faut changer urgemment de mode de vie, c'est à
dire de consommation, en inversant le modèle de convoitise. Ne pas forcer le « pauvre » à désirer
un SUV et douze paires de baskets mais à comprendre où l'on vit et pourquoi c'est le chant des
oiseaux qui nous équilibre, pas celui des pots d'échappement le long des trottoirs à joggings forcés.
Est-ce envisageable ?
Rien n'est moins sûr mais la prise de conscience venue du covid19 laisse penser aux habitants du
monde entier qu'ils doivent envisager sérieusement cet autre mode vie.
Les puissants de ce monde s'opposeront avec violence à cette tendance. Ils en ont déjà fait la
démonstration à très petite échelle : une armée de CRS face aux zadistes de Notre Dame des Landes
dont l'immense péché ne venait pas d'user de terres squattées mais d'inventer un art de vivre qui
utilise la diversité sans la détruire dans une économie assumée de la non dépense... Et qui pourrait
servir de modèle ! Il fallait à tout prix éteindre ce feu.
Mais le feu n'est pas éteint.
Il couve.
Il peut embraser les continents du futur. Non pour les achever dans la détresse des cendres mais
pour les sauver de la destruction par le marché et la plonger dans la dynamique d'un re-création :
réapprendre à vivre.
Faudra-t-il un jour remercier les micros organismes de nous avoir ouvert les yeux ?
Gilles Clément
13 avril 2020


Beaucoup disent qu'il y aura un après, qu'on souhaite un changement : soyons les acteurs du changement déjà et réfléchissons à ce que nous voulons vraiment pour demain !
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